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mai 2026
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Publié avec le soutien du Centre National du Livre


L’ENVIE MATERNELLE COMME HÉRITAGE :

À LA RECHERCHE DE L’OBJET MATERNEL PERDU ET INCONNU1

Jill SALBERG


Contact : Programme Postdoctoral en Psychothérapie et Psychanalyse de l’Université de New York, New York, NY, USA.
Institut de formation et recherche psychanalytiques, New York, USA.

Jillsalberg@gmail.com 155 West 71st. Street Suite 1D, New York, NY 10023, USA

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Résumé : L’impact des transmissions intergénérationnelles de traumatismes et les états psychiques dissociatifs qui passent des parents à leurs enfants, ont connu un développement important dans la théorie psychanalytique. Un cas clinique sera discuté, montrant comment la mort précoce d’une mère hanta les vies de plusieurs générations de mères et de filles. Des considérations sur la rupture d’attachement, le traumatisme, l’envie, l’agression mortelle et anesthésiante et la honte sont discu- tées en tant que phénomènes de transmission transgénérationnelle, et nous verrons comment ces différentes composantes sont perlaborées dans la relation analytique. Les attaques envieuses, bien que douloureuses à tolérer, doivent néanmoins être traitées afin de transformer les transmissions du passé.

Une grande partie de la littérature sur les transmissions de traumatismes reflète la façon dont les angoisses, les terreurs et le matériel onirique qui se rapportent au membre traumatisé de la famille, peuvent apparaître ensuite dans les sentiments et les esprits de ses descendants. Des affects terrifiants et des pensées impensables poussent les esprits à refuser, à désavouer ou à se dissocier et à essayer d’échapper à ce que, à un certain niveau, nous pouvons savoir (Bollas 1987). Ces faits sont trai- tés et souvent compris comme se produisant à travers le processus d’identification projective. Les travaux de Klein (1946) sur les mécanismes précoces de clivage, d’introjection et de projection ont abouti à sa compréhension de l’identification pro- jective comme d’un processus psychique crucial. La compréhension ultérieure de ses travaux a permis d’élaborer de manière plus complète les aspects communicatifs de ces projections (Bion 1959).


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  1. Article paru sous le titre : “Maternal envy as legacy: Search for the unknown lost maternal object”.

    Int. J.Psychoanal, (2022) 103 : 726-743. Traduit par Laurence Bittar-Fulpius, relu par Jenny Chan.

    Bien que ces concepts aient un grand pouvoir explicatif, mes propres réflexions et écrits sur la transmission transgénérationnelle du traumatisme d’attachement (Sal- berg 2015, 2019 ; Salberg et Grand 2017) s’appuient sur la théorie et la recherche sur l’attachement pour comprendre autrement ces transmissions. Mon travail psychana- lytique avec des patients a confirmé mon impression que l’attachement fonctionne comme le mode primaire de transmission dans les circonstances transgénération- nelles. Une vaste littérature sur ce sujet inclus (sans s’y limiter) les contributions des auteurs suivants : Ainsworth (par exemple Ainsworth et al. 1978), Beebe and Lach- mann (2013), le groupe d’étude du processus de changement de Boston2 (BCPSG 2010), Bowlby (1958), Coates (2004, 2012, 2016), Fonagy (1999a), Hesse (1999),

    Holmes (1996, 2001), Lyons-Ruth (2002, 2003), Main and Solomon (1986), Selig-

    man (2000), Schechter (2017) and Slade (2014).

    Les expériences de traumatisme fracturent l’expérience d’un sentiment continu d’exister (Winnicott 1956) dans le monde et peuvent perturber l’impression de sécu- rité ressentie dans les attachements. Lorsqu’un parent a vécu un traumatisme, une partie de son esprit et de son corps a été affectée, ainsi que sa capacité à autoréguler ses émotions. Ainsi, une partie de la personne peut ne pas être connue d’elle-même, dissociée, inaccessible. Une partie de cette expérience non médiatisée sera proba- blement transmise de manière transgénérationnelle de parent à enfant. Les enfants sont des observateurs constants de leurs parents, remarquant quand un parent est ac- cordé, désaccordé et/ou psychiquement absent. En réponse, les enfants s’ajustent et s’adaptent à la présence et à l’absence émotionnelles des personnes qui s’occupent d’eux ou de leurs parents.

    La recherche chez le nourrisson décrit que cela commence dès la naissance, avant même l’apparition des mots, négocié à travers les regards, les sons et le toucher – de même qu’à travers l’absence de ceux-ci.3 Les vidéos et résultats de recherche de ces études (e.g. Beebe et Lachmann 2013) montrent comment les expériences de trau- matisme sont souvent transmises dans des communications non vocales et impli- cites. En conséquence, il y aura une rupture dans le tissu d’attachement de l’enfant. C’est cet attachement perturbé à l’intérieur d’une personne qui s’occupe d’un enfant que celui-ci ressent intuitivement et qui fait partie de ce qui est transmis de manière transgénérationnelle. Alors que certains parents restent résilients tout en vivant un traumatisme, d’autres sont plus défavorablement affectés. De manière spécifique, il


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  2. the Boston Change Process Study Group. N.D.T. : traduit par nous-même

  3. Voir les travaux de Tronick utilisant (1989) les expériences de « visage impassible » avec les mères et les nourrissons. Tronick « a décrit un phénomène dans lequel un nourrisson, après trois minutes « d’inte- raction » avec une mère inexpressive et sans réaction, « se calme rapidement et devient méfiant. Il fait des tentatives répétées pour ramener l’interaction à son schéma réciproque habituel. Lorsque ces ten- tatives échouent, le nourrisson se retire [et] oriente son visage et son corps loin de sa mère avec une expression faciale désespérée et de retrait. » Cela reste l’une des conclusions les plus reproduites dans la psychologie développementale de la dépression maternelle sur les nourrissons » (Gottmann Institute, n.d.). N.D.T. : traduit par nous-même.

    existe des états d’esprit d’impuissance, d’abjection et de vulnérabilité qui se repro- duisent involontairement de parent à enfant (Coates 2004, 2012 ; Schechter 2017).

    Si l’inaccessibilité d’un parent est grande, l’enfant, dans une recherche déses- pérée d’être trouvé dans l’esprit du parent, s’accommodera et s’adaptera à l’état affectif du parent (Fonagy 1999b). Ce faisant, l’enfant peut rejoindre le parent dans une certaine expérience affective de perte, de dépression et de traumatisme (Holmes

    2001). Pour moi :

    Il ne s’agit pas d’une situation où il n’y a que deux choix possibles, mais d’une image complexe de ce qui est ressenti en étant attaché à ce parent particulier, ce que j’ai appelé la texture de l’attachement traumatique, et de quelles exigences pèsent sur l’esprit de l’enfant alors qu’il est à la recherche d’une base d’attache- ment sécure. (570-571)4.

    Inversement, la résilience de survie peut également être transmise. Bien qu’elles ne soient pas directement pensées comme des théories de l’attachement, des conclu- sions très similaires peuvent être observées dans les travaux de Ferenczi (1933) et de Balint (1968), ainsi que dans les écrits de Balint (1949) sur l’influence des tra- vaux et des écrits de Ferenczi.

    Dans ces théories et recherches, nous voyons avec quelle rapidité les enfants apprennent à connaître intuitivement les états d’esprit, les humeurs, les désirs et les absences émotionnelles de leurs parents.5 Dans ces situations, une sorte de pré- cocité émotionnelle peut se développer chez les enfants (voir Gordon et Corrigan 1995). La texture de l’attachement qui s’ensuit inclut la tentative de l’enfant de réguler affectivement le parent au lieu que ce soit le parent qui régule l’enfant. La mesure dans laquelle les enfants devront intégrer un renversement des rôles, réguler et prendre soin émotionnellement de leur parent peut varier (Main and Hesse 1990 ; Lyons-Ruth 2002, 2003), même si tous ne sont pas précoces dans leurs capacités à inverser les rôles.

    Reis (2007, 2019), partant de l’intersection des théories analytiques portant sur la subjectivité, la recherche chez le nourrisson (dans le cadre du BCPSG6), les traumatismes et les témoignages, décrit des cas cliniques et des théorisations dans la littérature sur la transmission transgénérationnelle, similaires à ce que l’on trouve lorsque les personnes responsables en général présentent un deuil ou un trauma- tisme non résolu. S’inspirant de Fonagy, de Holmes et des travaux de Lyons-Ruth sur l’attachement désorganisé, Reis conclut que ce n’est pas le traumatisme mais


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  4. N.D.T. : Traduit par nous-même

  5. Holmes (2001) maintient que la théorie de l’attachement doit être prise en considération et « a tou- jours accepté qu’elle est essentiellement une variante de la théorie de relation d’objet et reconnu que la description des comportements externes dont elle s’occupait à l’origine devait être complétée par une description empirique de ses corrélats dans le monde interne – selon la formule évocatrice de Main (1995, 410), par un « passage au niveau de la représentation » » (21). N.D.T. : traduit par nous-même.

  6. N.D.T. : Boston Change Process Study Group (2010)

    l’état mental de la personne responsable, la fragmentation qui est transmise via la relation d’attachement, qui est à l’origine des perturbations dans le fonctionnement psychique de l’enfant. Cela rejoint ma propre réflexion sur la transmission du trau- matisme :

    Nous devons la considérer plutôt comme une séquelle des états d’esprit fragmen- tés d’une personne traumatisée, une personne qui ensuite élève un enfant. Ce sont les états affectifs dysrégulés du parent qui imprègnent l’expérience d’attachement de l’enfant et peuvent susciter des fantasmes d’histoires manquantes du parent. (Salberg 2015, 40-41)7.

    Pour être claire, il ne s’agit pas du contenu raconté à l’enfant, mais de l’expé- rience affective qui a lieu avec le parent. L’enfant crée des idées et des fantasmes qui élaborent ou tentent de donner un sens à ses expériences avec ce parent. Schech- ter (2004, 2017) a effectué des recherches et a documenté la présence d’histoires maternelles de traumatisme et de stress post-traumatique. Il constate que, pour ces mères, l’autorégulation émotionnelle devient intense: « Le trouble de stress post- traumatique est un trouble de dysrégulation émotionnelle dans lequel les traces de mémoire traumatique et les affects qui leur sont associés submergent l’individu de telle sorte que sa priorité doit se tourner vers la survie et l’autorégulation plutôt que vers l’intégration de l’autre et la régulation mutuelle » (265).8 De plus, il décrit dans des cas cliniques comment l’état post-traumatique de la mère déclenche une alarme chez l’enfant sans aucun lien avec une situation terrifiante réelle : « l’enfant et la mère se retrouvent avec une nouvelle expérience traumatique qu’ils partagent et ont coconstruite, et qui néanmoins transmet l’essence « traumatique », en partie au moins, de l’expérience antérieure de la mère » (267).9

    Dans le matériel clinique qui suit, j’examine comment la mort précoce d’une mère entraîne une hantise transgénérationnelle dans les vies de ses descendants , une hantise transgénérationnelle qui fait obstacle à la transformation ou à la crois- sance. La mort précoce de cette mère ancestrale fut traumatique pour la mère de la patiente, âgée de cinq ans à ce moment-là. Selon toute vraisemblance cette mort, due à la pandémie de grippe de 1918, laissa une fille abandonnée et qui se trouva dans l’impossibilité d'élaborer ce deuil. Une amertume et un détachement chez la mère de la patiente suggérèrent un deuil non métabolisé, qui interféra avec son futur maternage et affecta de manière négative sa fille et ses petits-enfants.

    Ce qui devint clair pour moi au cours de ce traitement, fut que la patiente et sa mère avaient toutes deux été abîmées et laissées avec un déficit quant à l’objet maternel internalisé. Ma patiente n’avait aucun souvenir de sa mère jouant avec elle. Ce dont elle se souvenait était une insuffisance d’empathie, un manque d’affec-


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  7. N.D.T. : Traduit par nous-même

  8. N.D.T. : idem

  9. N.D.T. : ibid.

    tion et une interdiction d’envier ce que les autres possédaient. Ma patiente et sa mère avaient toutes deux eu une expérience limitée de soins maternels et d’enga- gement affectueux véritables. Une mère morte réelle (la grand-mère de la patiente) hante une mère vivante (la mère de la patiente), qui se transforme elle-même en une mère anesthésiée et probablement avide, transmettant le manque et une bles- sure narcissique profonde. Je montrerai comment ceci laissa ma patiente dépourvue et envieuse, nostalgique de l’attachement à une mère aimante fantasmée et à son regard maternel.

    Je considère l’envie comme un état affectif produit dans la dyade intersubjective mère-enfant, né du traumatisme, de la perte et du manque, vécu comme intolé- rable et transmis du parent à l’enfant. L’expérience relationnelle d’attachement de cet enfant porte l’empreinte de ces états traumatiques. C’est la transmission d’états affectifs – sentiments d’anxiété, d’envie, de perte et de manque – que le parent reproduit et induit inconsciemment chez son enfant. Ces transmissions peuvent se produire à travers les générations dans une famille et, par conséquent, chaque géné- ration souffre de la perte de soins maternels, reproduisant et transmettant à son insu le manque ainsi que la nostalgie envieuse.


    Hantises, fantômes et transmissions

    Le terme « hantise » a été utilisé pour la première fois en psychanalyse par Abra- ham (1968), Torok (1968) et Abraham et Torok (1972, 1975) lorsqu’ils ont écrit que la création de fantômes était une solution magique au deuil nié et entravé. S’inspi- rant de la conceptualisation de l’introjection de Ferenczi (1909, 1915, 1926), Torok (1968) voit le fil théorique de la conceptualisation originale de l’introjection de Ferenczi (1915) comme une manière dont le monde extérieur est amené à l’inté- rieur du Moi. Freud (1917) avait développé l’idée de Ferenczi (1909) dans « Deuil et mélancolie », en théorisant la façon dont la perte de l’objet pouvait être niée en incorporant l’objet dans le Moi par le processus d’identification. Torok a soutenu que certaines pertes pouvaient être considérées comme des traumatismes qui étaient niés, et que c’est dans l’incorporation de l’objet (et non l’introjection) qu’un fan- tasme pouvait être installé, enterré pour ainsi dire dans l’inconscient.

    Maurice Apprey (1996) s’est inspiré des travaux d’Abraham et Torok quand il a commencé à écrire sur les hantises transgénérationnelles, en examinant en par- ticulier les traumatismes, de l’esclavage et de l’Holocauste. Il s'intéressait à « la manière dont les projets psychologiques toxiques des générations précédentes sont subtilement injectés, reportés et/ou transmis aux générations ultérieures de mul- tiples façons » (15 ; 2002).10 Selon lui, ces projets contraignaient la génération ulté-


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  10. N.D.T. : Traduit par nous-même

    rieure à essayer d’accomplir, selon ses termes, les « missions »11 de la génération précédente. Il considérait cette tâche comme ne pouvant ni être abandonnée, ni être résolue avec succès, car le traumatisme appartenait à une génération antérieure.

    Haydee Faimberg (1987, 2005), en écrivant sur de telles transmissions, a dé- veloppé une théorie au sujet du télescopage des générations. Elle a conceptualisé l’appropriation narcissique de l’identité de l’enfant par le parent, comme une coop- tation de l’esprit de l’enfant par le parent. Pour elle, l’esprit de l’enfant n’est pas vide, mais est surchargé de l’histoire et des secrets du parent. Dans le cas de Mario, Faimberg élabore ses idées sur la façon dont les parents se sont approprié l’esprit et la subjectivité de son patient. Mario vivait dans deux mondes sans en habiter plei- nement un seul ; c’est-à-dire qu’il était psychiquement absent de sa propre vie tout en étant psychiquement absorbé par les vies de ses parents et grands-parents, dont les traumatismes précédaient sa naissance.

    Davoine et Gaudillière (2006) ont examiné l’impact de la guerre et des événe- ments sociopolitiques qui se transmettent et s’installent dans les esprits de leurs patients psychotiques. Cette vision permet d’analyser l’impact des traumatismes historiques qui se manifestent dans les vies individuelles des patients. Reis (2007) note l’accent que les psychanalystes français ont donné à la compréhension de l’im- portance de l’histoire sur la mémoire. Il est remarquable d’observer de quelle façon la théorie s’est davantage accordée aux événements mondiaux traumatiques, et s’est étendue en conséquence.

    Le traumatisme historique de l’Holocauste a fait l’objet de nombreux écrits et théories en psychanalyse. Laub et Auerhahn (1993), en écrivant sur la manière dont le traumatisme peut être connu et simultanément non connu, ont décrit la pertur- bation qui se produit dans les relations familiales : « Dans le traumatisme la mère interne reste dans une position d'observatrice, permettant à l’attaque de se produire ou, du moins, échouant à la prévenir12 » (287). Ils pointent la perturbation de la représentation interne de l’imago maternelle. À quel point ceci serait-il plus désas- treux si le traumatisme était généré par la mort réelle de la mère? Laub et Auerhahn soutiennent que le sentiment interne de ce qui, selon les termes de Winnicott, corres- pondrait aux aspects protecteurs de la « mère-environnement », est profondément perturbé, voire détruit par l’expérience traumatique.

    Cela pose une question plus large, qui concerne la manière dont nous comprenons ce qui est traumatique dans la perte ou la mort d’une mère. S’agit-il uniquement d’un événement externe, d’une perte insupportable dans la réalité ? Ou s’agit-il éga- lement d’un événement interne qui survient simultanément à l’événement externe ? Nous devons nous rappeler que la fragilité et la résilience se développent toutes deux alors que les enfants traversent les événements de leurs vies. Bowlby (1940)


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  11. N.D.T. : ibid.

  12. N.D.T. : ibid.

    pensait que ces facteurs externes étaient importants, faisant référence à l’atmos- phère émotionnelle et à l’environnement personnel du foyer.

    René Kaës (1993), en écrivant sur les espaces psychiques dans les groupes, main- tient à quel point l’intersubjectivité est fondamentale pour la vie psychique.13 Kir- shner (2006) écrit :

    Chaque individu s’approprie ce qui a été transmis, implicitement et explicitement, et le lie à ses propres fins privées… toutefois, quelque chose demeure étranger dans la transmission, « présence obscure et inconnue en lui d’un autre ou de plus d’un autre (Kaës 1993, p. 286) ». Dans ce dernier point, nous reconnaissons une référence au concept de transplant étranger de Ferenczi, une sorte d’autre non assimilé qui demeure comme un invité permanent, indésirable ou inconnu, à l’in- térieur de la psyché14. (1006)

    Kaës (1993) décrit de quelle façon le « télescopage des générations » de Faim- berg est un exemple important de cet invité vivant et étranger à l’intérieur de l’en- fant. De plus, Kaës pense qu’il existe une présence interne de type négative, comme l’objet « mort » dans les travaux d’Abraham et Torok sur la crypte.

    Tout cela soulève la question de ce qui est transmis exactement. Bien que les auteurs dans le domaine des transmissions transgénérationnelles aient souvent ima- giné le contenu, connu ou inconnu, celui-ci est vraisemblablement beaucoup plus complexe et inclut des expériences et des états affectifs réels et fantasmés. Il est peut-être préférable de le considérer comme un continuum de types de transmis- sions à dimensions multiples, comprenant mais ne se limitant pas aux souvenirs, traces et absences de souvenirs, ainsi qu’aux états affectifs de peur, de terreur, d’im- puissance, d’insensibilité, d’apathie et de vide. De plus, tous ces auteurs abordent, d’une certaine façon, un aspect d’abandon maternel émotionnel; parfois il est litté- ral, parfois il est représenté et interne.

    Étant donné que le Moi de l’enfant n’est pas encore formé au début de sa vie, l’impact des traumatismes et des ruptures survenant si tôt dans son développement ne peut être surestimé. Par conséquent, la structure de la personnalité de l'individu porte cette empreinte ou inscription. Comment cela pourrait-il apparaître chez des patients où il y a des transmissions transgénérationnelles de perte maternelle ou de deuil avorté? Nous pourrions concevoir l’impact développemental interne comme déficitaire dans ce cas. Anne Alvarez (2010), en définissant les niveaux du travail analytique et de la pathologie, décrit des zones de déficit chez certains patients. Elle écrit, « Je souhaite ajouter une autre dimension à la question du déficit en soulignant l’existence, chez certains patients, d’un déficit dans l’objet interne. Ceci concerne


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  13. Je suis redevable et dépendante de la traduction de Lewis Kirshner (2006) de Kaes, et de son article sur ses travaux. Note de l’auteur traduite par nous-même.

  14. N.D.T. : Traduit par nous-même.

    des objets vécus comme inintéressants, non valorisés (non dévalorisés), inutiles et probablement indifférents » (863).15

    Ce que j’ai apprécié dans ma lecture et mon utilisation du travail de beaucoup de ces auteurs est la manière dont les transmissions se produisent dans le contexte, et affectent directement la nature de la relation d’attachement. Ces transmissions laissent leur empreinte, comme le montre la façon dont les attachements intimes semblent être problématiques pour certaines personnes, affectant les relations, les mariages et l’éducation des enfants. J’en suis venue à voir cela comme un marqueur de deuil avorté en réponse à une perte traumatique, une rupture profonde dans l’atta- chement précoce. Dans mon travail avec les patients, je suis frappée par le fait que ces transmissions résident à l’intérieur d’états inconscients, qui hantent et prennent le contrôle. Dans les séances d’analyse, le glissement d’un état adulte actuel à un état infantile anxieux peut survenir rapidement, cette discontinuité étant à peine perceptible.16 Ceci se produit dans des moments de stress lorsque le Moi de l’adulte est angoissé et envahi.

    L’apparition de ces difficultés d’attachement suggère un point de repère où la perte et le deuil auraient pu se produire, permettant la croissance de la personne. Cependant, la mère qui apaise et qui soutient était absente ou pire, n’existait pas.17 Je développe ce point en y voyant également un phénomène de transmission trans- générationnelle qui se produit sur plusieurs générations. Ces pertes non déplorées ne sont pas contenues au sens de Bion (non-représentées et non-pensées) et sont donc transmises de parent à enfant de manière incompréhensible.

    Au cours des deux dernières décennies, une littérature de plus en plus importante s’est développée sur les transmissions transgénérationnelles, générée par des psy- chanalystes nord-américains de points de vue principalement relationnels et inter- personnels.18 Ces auteurs s’inspirent de Faimberg, Abraham et Torok, Davoine et Gaudillière mais, peut-être de manière plus importante encore, ils sont profondé- ment influencés par les travaux de Ferenczi. Il est intéressant de voir comment les travaux précoces de Ferenczi (1929, 1933, 1990) sur le traumatisme, et ses effets sur l’enfant, ont été fondateurs pour ceux qui ont été analysés par lui, y compris Melanie Klein et Clara Thompson ; qui ont été analysés et formés par lui, y compris


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  15. N.D.T. : Traduit par nous-même

  16. Voir Bromberg (1994, 2006, 2011), qui a écrit de manière extensive sur la dissociation et le clivage qui maintiennent les expériences relationnelles traumatiques dans des états séparés. Note de l’auteur traduite par nous-même.

  17. Fonagy (1999a) a écrit et souligné les points de convergence et de divergence entre les théories psychanalytique et d’attachement. Ma lecture de ceci est que l’accent mis par Bowlby sur une base sécure dépendrait d’une personne donneuse de soins fiable, sensible et accordée, ce qui est proche de la mère suffisamment bonne et de la mère-environnement de Winnicott, et de ce que les chercheurs en attachement pensent être nécessaire pour que l’enfant développe un attachement sécure. Note de l’auteur traduite par nous-même.

  18. Voir Coates, Frie, Gerson, Gump, Grand, Harris, Harris, Kalb et Klebanoff, Prince, Richman, Salberg, Salberg et Grand, et Silber. Note de l’auteur traduite par nous-même.

    Alice et Michael Balint ; ou, dans le cas de Nicolas Abraham, qui ont été supervisés par Imre Hermann, un élève de Ferenczi.

    Deux des articles de Ferenczi,19 ainsi que son Journal clinique, ont été précur- seurs pour comprendre comment les enfants souffrent de deux types de trauma- tisme : l’évènement réel à proprement parler et le déni ou rejet par les adultes de la reconnaissance du traumatisme, un profond échec de ceux qui en sont témoins. Les approches relationnelles de la transmission transgénérationnelle considèrent Ferenczi comme un pionnier et la suppression de son travail comme une partie tra- gique et probablement traumatique de l’histoire de la psychanalyse.


    Envie et avidité : perspectives kleinienne, freudienne contemporaine et relationnelle

    Melanie Klein (1968) a décrit l’envie, qu’elle considérait être l’expression de pulsions destructrices, comme « le sentiment de colère qu’éprouve un sujet quand il craint qu’un autre ne possède quelque chose de désirable et n’en jouisse – l’impul- sion envieuse tend à s’emparer de cet objet ou à l’endommager » (18). Elle poursuit en définissant l’avidité comme « la marque d’un désir impérieux et insatiable, qui va à la fois au-delà de ce dont le sujet a besoin et au-delà de ce que l’objet peut ou veut lui accorder » (18). Elle estime que ces deux notions se chevauchent forte- ment mais fait une distinction claire : l’envie cherche à voler à quelqu’un ce qu’il a, ou l’abîmer, le gâcher ou le détruire, et est principalement fondée sur la projec- tion, alors que l’avidité veut avant tout posséder tout ce qu’elle désire et repose sur l’introjection. Cette différence est à relever, mais l’envie et l’avidité se retrouvent souvent chez la même personne et, en tant que telles, constituent un mélange assez toxique pour la personne et le travail analytique.

    Elizabeth Bott Spillius (1993) a approfondi les idées de Klein, en élargissant les états envieux dans lesquels une personne se sent coupable à ceux chez qui la culpa- bilité est absente, situation qu’elle nomme envie impénitente. Elle écrit :

    J’ai découvert que dans les cas de grief et d’expérience impénitente d’envie, les défenses sont utilisées non seulement pour maintenir et renforcer le sentiment de grief, mais aussi pour éviter de reconnaître la douleur aiguë et le sentiment de perte, parfois la peur de l’effondrement psychique, qui viendrait de la prise de conscience que l’on veut un bon objet mais que l’on ressent réellement ne pas en avoir ou ne pas en avoir eu… Le grief est donc une forme de défense narcissique. (1204)20



  19. Voir “L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort” et “Confusion de langue entre les adultes et l’enfant”.

  20. N.D.T. : Traduit par nous-même

    Bott Spillius affirme de plus que, « d’une manière paradoxale, l’envie est proba- blement la plus grande lorsque l’objet qui donne est ressenti comme donnant peu ou mal. Le receveur s’identifie à un objet-donneur qui ne prend pas plaisir à donner et recevoir et le cercle vicieux se perpétue de manière interne » (1209).21

    Écrivant d’un point de vue freudien contemporain, Carolyn Ellman (2000) pense que la peur de la fille à l'égard de son envie destructrice l’empêche de se séparer de sa mère, la laissant, en tant que femme adulte, limitée en termes de réalisation et de prise de plaisir dans ses accomplissements personnels. Elle comprend que l’envie peut être inévitable dans le développement: « La mère doit reconnaître les désirs puissants de la fille de posséder son propre corps et d’envier celui de la mère, plutôt que de nier ces désirs » (655)22. Ellman comprend que cela pourrait laisser une bles- sure narcissique et un sentiment de vide chez la fille/femme.

    Alors que l’approche kleinienne de l’envie est enracinée dans les pulsions des- tructrices du développement précoce, les auteurs relationnels ont placé l’envie dans le monde relationnel et interpersonnel de la mère et de l’enfant. Harris (1997) af- firme que, « Être envieux peut être ressenti comme une blessure narcissique, en pointant les absences et les limites à l’intérieur du Moi par rapport à l’autre qui est envié » (299)23. Gerhardt (2009) suggère, comme Bott Spillius et Harris, que l’envie masque souvent un désir refusé, qu’il existe une blessure narcissique qui est la pré- condition à l’envie. Elle écrit :

    L’envie émerge comme une conséquence de l’échec des efforts émotionnels à entrer en contact avec l’objet et, finalement, dérive de l’échec maternel à recon- naître le besoin de l’enfant de se sentir partie de/identique à l’objet, auquel l’enfant répond par un désir qui est devenu abject, désespéré et plein de ressentiment. (268)24

    Nous voyons dans les travaux de Bott Spillius, Harris et Gerhardt une sensibilité intersubjective. Il existe tout un monde au sein de la dyade mère-enfant, formulé comme donneur et receveur, inséré dans l’esprit de chacun, qui affecte l’un et l’autre dans un mouvement constant de désir, d’intimité, de refus, d’exclusion et de perte.


    Vignette clinique

    Mme A était une femme blanche mariée de 55 ans, mère de filles adultes, lorsqu’elle me consulta pour la première fois. Sa grand-mère était décédée jeune, très probablement de la pandémie de grippe mortelle en 1918. La mère de Mme A ne parlait jamais directement de la perte précoce de sa mère. Ce qu’elle disait était


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  21. N.D.T. : ibid.

  22. N.D.T. : ibid.

  23. N.D.T. : ibid.

  24. N.D.T. : ibid.

que son père avait fait face à cette mort précoce en donnant à la mère de la patiente tout ce qu’elle voulait (cadeaux ou vêtements) et en ne lui posant jamais de limites suffisantes. J’imaginai qu’il devait lui aussi se sentir impuissant par rapport à cette perte et surcompensait peut-être ce décès. Le grand-père de la patiente niait la signi- fication de la perte de sa femme/la mère de ses enfants, dans une sorte de processus maniaque défensif contre la douleur et l’attrait mélancolique de cette perte. La mère de Mme A ressentait-elle une certaine culpabilité, du fait qu’elle semblait profiter de la mort de sa propre mère et qu’elle récoltait plus que ces deux plus jeunes sœurs, les laissant l’envier? C’est fort possible. Ce qui était évident fut la façon dont la perte, le manque, l’avidité et l’envie entrèrent alors en jeu dans les plaintes de Mme A.

Mme A grandit en étant la sœur considérablement plus jeune (plus d’une décen- nie) d’un frère dont elle sentait que ses parents l’avaient adoré, choyé et dont ils avaient fait le centre de leur monde. Sa famille disposait d’une richesse considérable qui, selon elle, était donnée de manière disproportionnée à son frère. En consé- quence, Mme A semblait être inconsciemment choisie par sa mère comme l’enfant démunie et abandonnée. Mme A décrivait sa mère comme glamour mais égocen- trique, l’obligeant à s’asseoir en silence pendant qu’elle se faisait habiller par une couturière, et lui achetant peu d’habits. Quel rôle lui demandait-on de prendre, celui de la pauvre petite, enviant ce qui lui était refusé ? Elle me disait qu’elle se considé- rait comme étant la fausse personne et avait l’impression que si elle ressemblait plus à sa mère glamour, elle se sentirait moins mal aimée, moins vide à l’intérieur. Mon impression était que la mère de ma patiente avait été laissée avec un vide interne inconscient, là où les soins maternels avaient existé à l'époque. Mme A ne ressentait pas le déficit chez sa mère (ce qui, je crois, aurait été bien plus catastrophique), mais le localisait en elle-même.

Mme A vint me voir se sentant misérable, se décrivant comme sans espoir, pi- toyable, désagréable. Elle se plaignait de sa fille aînée, « c’est elle qui m’a fait le plus déprimer, je me sens complètement frustrée, fâchée et désespérée. » Quand je lui demandai d’élaborer, elle dit avec colère, « Elle m’a fait vivre une décep- tion après l’autre, elle a négligé son apparence, est peu soignée, a près de 30 kg de surpoids, n’est pas maquillée et a les cheveux en bataille. » En l’interrogeant sur sa propre relation avec sa mère pendant son enfance, Mme A rapporta que sa mère pre- nait des somnifères, dormait tard le matin et n’était jamais aimable avec les autres femmes : « J’étais tout ce que ma mère ne voulait pas que je sois, sportive, bonne élève, intello. Quand j’avais un problème de socialisation, ma mère ne savait pas comment s’y prendre, alors elle me disait de me trouver de nouveaux amis. » Au début, tout commentaire de ma part sur le fait qu’elle se sentait blessée, délaissée ou en colère contre sa propre mère était accueilli par une sorte d’absence d’expression et ma patiente répondait :

Ma mère était une main de fer dans un gant de velours. Elle me disait que je devais avoir plus de discipline émotionnelle. J’aimerais être plus comme elle. Au lieu

de cela, je n’arrive pas à faire face aux méchancetés de mes amis et j’ai une fille grosse et impopulaire.

Je compris que Mme A avait une vision idéalisée de sa mère, la voyant comme une femme narcissique qui avait réussi, et aux yeux de laquelle elle était considérée comme un échec. Cela se reproduisait avec sa propre fille, chacune à une extrémité du continuum narcissique réussite/échec.

Dans ses attaques envieuses envers ses amies, une Mme A émotionnelle et vis- cérale prenait vie. Elle versait le venin et le mépris comme du vin mais se sentait inévitablement vidée et profondément honteuse. Elle se plaignait d’avoir été relé- guée à une position inférieure dans son groupe actuel d’amies et se sentait à présent périphérique, exclue. Les échos de sa constellation de famille précoce étaient évi- dents. Elle était persuadée que personne ne pourrait vraiment l’apprécier ou l’aimer s’ils savaient ce qui couvait à l’intérieur d’elle, à savoir sa rage face à toutes les blessures et souffrances qu’elle endurait et sa terrible jalousie. Lorsque j’évoquais avec elle comment son mépris de sa fille et de ses amies faisait écho à la manière dont sa mère lui parlait, elle déclara que sa mère savait faire une entrée et ne se souciait pas vraiment d’avoir des amis, et elle laissa tomber le sujet. Le lendemain,

en séance, elle dit :

Je pense que nous devons aborder certains sujets aujourd’hui. Hier, c’était un peu perturbant pour moi d’entendre que j’étais tellement comme ma mère. D’un côté je veux être incluse et avoir des amies, mais de l’autre je vous dis parfois que je ne m’intéresse pas vraiment à elles ou à ce qu’elles ont à dire. Je trouve cela trop compétitif. Ma mère avait raison de ne pas vouloir être avec des gens, de ne pas courir après le groupe populaire. Je suis blessée par ce groupe et ensuite je dis que je vais m’occuper de mes affaires.

Je demandai : « Aviez-vous un sentiment différent hier, parce que vous n’avez pas dit grand-chose ? » Elle répondit : « Je vois tout cela à un certain niveau, je le recon- nais, mais il y avait un élément de honte quand vous m’avez demandé, « Êtes-vous intéressée par les autres ? » Je n'en suis pas vraiment sûre, parfois un petit peu, mais quand je parle à ces femmes je me sens soit beaucoup mieux soit beaucoup plus mal, parce que je vois que les gens ont tellement plus que moi ou sont plus mal lotis. »


Pendant que la mère de Mme A était physiquement vivante et présente, celle-ci ne la ressentait pas comme une mère nourrissante affectivement impliquée, et ce fut donc un sens de manque et de vide qui fut intériorisé. Elle avait grandi avec une ver- sion idéalisée de sa mère et était profondément critique envers elle-même, en colère quand elle pratiquait du sport et perdait des matchs. Je demandai : « A qui appartient cette voix qui vous dit que vous êtes une telle perdante ? » Elle répondit, « Je ne sais pas, ce n’est pas ma mère ou mon père, ils ne se sentaient pas assez concernés ou ne s’impliquaient pas dans ce que je faisais. » Je répondis, « Je me demande si ce n’est pas une voix à l’intérieur de vous qui s’est développée pour combler un vide.

Vos parents étaient si indifférents et vous vous sentiez responsable. » Il me semblait que sa mère refusait amour et affection, suggérant que Mme A ne devait pas en avoir besoin. Lorsqu’elle se plaignait ou protestait, sa mère l’attaquait avec envie et lui disait, « Au moins tu as une mère. »

Il y a quelque chose d’extrêmement effrayant d’entendre une mère envier le droit de son propre enfant à être materné. En conséquence, en lieu et place d’attachement, Mme A ressentait, parfois de façon aiguë, qu’elle ne possédait jamais assez de biens matériels. Elle s’attachait aux objets matériels plutôt qu’aux objets maternels. Cela résonnait de manière très étrange et cependant très intéressante, étant donné que le grand-père avait « gâté » sa mère avec des objets matériels pour se faire pardon- ner la mort précoce de la grand-mère de la patiente. Je commençai à comprendre que certains aspects de son envie et de son avidité pouvaient aussi être considérés comme des états internes transmis de manière transgénérationnelle. Pour Mme A, l’envie et l’avidité étaient les symptômes qui pointaient vers une mère/un parent interne fantasmé(e), non frustrant(e) mais imaginé(e) comme plein(e) de sollicitude.


Relation analytique

Au cours de notre travail, qui se déroulait en face-à-face trois fois par semaine, j’avais été attentive de manière intermittente à mes sentiments contre-transférentiels de frustration, du fait que ce que je disais n’était pas valorisé ou pris en compte : une identification au Moi de son enfance. Nos interactions étaient de qualité stagnante et répétitive. Mme A exprimait ses plaintes à propos de sa vie, espérant à chaque fois que je pourrais lui révéler une nouvelle manière de faire face aux choses, qui pourrait la changer et lui donner les résultats désirés. Tout ceci m’empêchait de faire preuve de l’empathie analytique, qui aurait pu m’aider à lier les idées dans mon esprit avec ces affects douloureux qu’elle s’efforçait de nier.

C’est ici que se posent les dilemmes autour de la recherche du travail analy- tique – c’est-à-dire convertir les transmissions traumatiques en expériences émo- tionnelles pouvant être ressenties, déplorées et finalement transformées. Bien que je me sois rendu compte assez facilement des états envieux de Mme A, je n’étais pas consciente d’avoir, de manière protectrice, coupé mon engagement affectif interne, un sentiment contre-transférentiel qui reflétait le manque d’empathie de sa mère. Je me sentais passablement en retrait quand elle s’en prenait de manière incisive à l’apparence, aux vêtements ou au comportement d’une amie. Je me sentais aussi en retrait lorsqu’elle me racontait ce que ses amies disaient et lui faisaient ainsi qu’aux autres. Malgré son désaveu, l’agressivité et l’insensibilité étaient assez évidentes pour moi. Il était difficile de ressentir de la compassion alors que tant d’envie et de mépris emplissaient la pièce. Je me sentais provoquée et méprisante face à sa méchanceté, ce qui inhibait d’autant plus ma capacité à aborder l’agressivité et ses

attaques mêlées d’envie envers ses amies. La seule chose que j’aurais dû ouvrir et discuter avec elle semblait inabordable.

Je commentai que l’amitié dans son groupe de femmes était un « combat d’ani- maux ». Elle trouva que c’était une évaluation tout à fait exacte. Alors que mon uti- lisation de l’humour permettait à quelque chose d’être exprimé ouvertement (la léta- lité de l’agressivité envieuse), je vois maintenant à quel point je devenais évitante au contact de la méchanceté de Mme A. Elle habitait un univers persécuteur dans lequel les attaques envieuses abondaient, des attaques qu’elle croyait être vraies de la part de ses amies et du monde en général. Elle ressentait, à chaque rencontre, ces blessures et souffrances qui n’avaient pas été apaisées et métabolisées par une mère, cette dernière n'ayant jamais pu s’identifier à sa fille ou l’aider à s’épanouir sociale- ment. Quand il devint plus clair pour moi que Mme A désirait une mère animée et impliquée, ma capacité empathique revint. Je fus capable d’accueillir et de garder sa partie méchante à côté de ses parties démunies et vulnérables. Par conséquent, en réponse à mes réponses plus chaleureuses et sympathiques, Mme A s’ouvrit sur ce qu’elle ressentait comme la honte énorme d’être consumée par son envie à l’égard d’autrui.

J’avais l’impression que l’envie et l’avidité de Mme A devenaient une sorte de boucle sans fin qui la maintenait distante et à l’extérieur du cercle de ses amitiés, tout en aspirant constamment à en faire partie. Elle admirait et simultanément haïs- sait ses amies « proches » de se mettre toujours au centre de l’attention, de se vanter de chaque nouvelle acquisition de marque. Mme A relata que, en grandissant, si elle demandait à sa mère quelque chose que ses amies avaient déjà, elle lui répon- dait qu’elle n’en avait pas besoin et ne devait pas vouloir ce que les autres avaient. C’était la solution au désir. Il n’était pas surprenant que la restriction alimentaire devînt un domaine dans lequel elle excellait, lui permettant de maintenir un régime restrictif très serré et un corps très mince. Ainsi, l’envie consciente de Mme A, selon les termes de Bott Spillius, était aussi impénitente, sans remords. Dans son esprit, ses amies enviables exhibaient ce qu’elles avaient, et méritaient les sentiments d’en- vie et de gâchis qui bouillonnaient en elle.

Ce qui handicapait Mme A était la profonde honte rouge écarlate qu’elle ressen- tait à l’idée que quiconque sache à quel point elle était réellement envieuse. Cette honte, si elle était révélée, aurait exposé au monde son vide intérieur, le fait d’être l’enfant mal aimée et sans valeur, qui ne pouvait pas montrer de l’amour mais seu- lement de l’envie. En grandissant, les protestations et supplications de Mme A à sa mère se heurtaient à une froideur pincée. Lorsque ma patiente l’implorait d’une preuve de sa propre valeur, sa mère mettait fin à ces conversations avec la phrase souvent répétée, « Bon, au moins tu as une mère. » Quand je l’interrogeai à ce sujet, elle me dit d’une voix monotone, dénuée de tout sentiment, qu’elle n’avait jamais connu sa grand-mère, qui était morte lorsque sa mère était enfant. La mère et le père de Mme A étaient décédés quelque temps avant le début de notre travail, et elle ne

montrait aucune réelle tristesse ou sentiment de perte. En fait, elle me dit qu’elle était contente d’avoir enfin gagné de l’argent grâce à cela.

À ces dires, je me retirai intérieurement, trouvant difficile de recevoir et de méta- boliser ce genre de réaction de sang-froid. À nouveau, je dus perlaborer mon propre mépris pour sa froideur, me rappelant combien elle avait été peu chérie enfant. Après cela, je fus capable de rétablir une connexion empathique, reconnaissant qu’elle ressentait d’une certaine manière leur perte comme un soulagement. De plus, je compris quelle sorte d'héritage psychique lui avait été transmis – le manque et la négligence, comme en témoignait son envie.

Bien que considéré d’une perspective légèrement différente de celle de Bott Spil- lius, il est en accord avec son travail de suggérer qu’il s’agit ici d’un état interne transmis de manière transgénérationnelle, résultant de la rupture traumatique dans l’attachement à des mères émotionnellement mortes, des mères absentes, des mères qui privent et abandonnent. J’en suis arrivée à comprendre qu’il y avait des trans- missions transgénérationnelles constituées de profonds clivages dans la configura- tion relationnelle de l’objet internalisé pour Mme A, des transmissions d’états affec- tifs niés puis reproduits. Je suggérerais qu’il y avait un enfant qui avait une mère ; puis il y eut un enfant qui perdit une mère; il y eut un père qui gâta un enfant ; il y eut un enfant gâté par son père ; et il y eut un enfant qui dut être témoin, privé et renié de tout cela. Alors que le rôle de l’enfant gâté était légué à son frère aîné, elle portait l’expérience d’être l’enfant négligé d’une mère déficiente.

Avec son nez collé contre la vitre, elle était une étrangère à la bienveillance ma- ternelle. Je commençai à réaliser quel profond déficit de maternage Mme A avait enduré. La honte fait partie du tableau lorsque l’envie et l’agressivité mortelle appa- raissent, en particulier pour les femmes (Harris 1997). Alors que je tendais à croire que la mère de Mme A était assez limitée dans ses capacités à aimer et à s’attacher, Mme A pensait que sa mère possédait une abondance maternelle, dont elle était toutefois exclue. C’est un état profondément douloureux à vivre pour un enfant, et cet état avait été transmis de manière transgénérationnelle comme une expérience interne. Lorsque j’en vins à comprendre cela de manière plus entière, je fus davan- tage capable de permettre à ses sentiments envieux et plein de haine d’être présents dans nos séances, et de souligner à quel point elle s’était défendue de se sentir hon- teuse de son envie. En réponse, Mme A commença à dire que je lui manquais entre les séances, à me montrer un attachement grandissant ainsi qu’à notre travail.


La mise en scène de l’envie

Mme A avait consacré sa vie à poursuivre ce fantasme : « Si je pouvais être mince et plus jolie, alors les gens m’aimeraient. » Elle remarquait continuellement ce que ses amies mangeaient ou ne mangeaient pas, et qui, dans son esprit, faisait trop d’exercice, ce qui selon moi signifiait qu’elle cherchait à identifier qui, parmi elles,

pouvait restreindre ou contrôler le mieux ses appétits et ses désirs. Sa fille aînée habitait l’état interne affamé, négligé et mal aimé que Mme A dissociait et, de plus, y répondait en mangeant trop. Elle était considérablement en surpoids, à la grande fureur et au grand mépris de Mme A.

Je trouvais cela douloureux à entendre mais j’avais une certaine conscience de la honte qui poussait Mme A à me cacher qu’elle pouvait être aussi cruelle avec sa propre fille et la traiter comme un objet. Pendant la période où le mariage de sa fille était en train de se briser, Mme A, au cours de nombreuses séances, se lança dans des tirades sur les problèmes de poids de sa fille et sur sa colère de s’être vue échoir la grosse fille impopulaire. Bien que sachant que cela représentait sa haine de soi internalisée et projetée chez sa fille, j’essayais continuellement de créer un espace de compassion en moi.

Au cours de cette séance particulière, je me retrouvai à me disputer avec elle au sujet des convictions haineuses qu’elle avait sur sa fille. Mme A remarqua : « Elle est toujours négligée, alors je lui ai dit qu’elle devrait se faire une belle coupe de cheveux, acheter du nouveau maquillage et demander à ses amies de l’aider à s’ar- ranger. Je ne supporte pas qu’elle soit si grosse, toutes les autres ont des filles par- faites, minces et jolies. » Je voulais la reprendre d’attaquer ainsi sa fille, en disant,

« Votre fille a besoin de temps pour faire le deuil de la fin de son mariage. » À la fin de l’heure, je me sentis complètement envahie et épuisée. Elle dit avec colère: « Et si votre fille était grosse et habillée ainsi ? » Soudain, je me trouvai à lever les deux mains en l’air de manière à dire STOP et répondis : « Je n’en peux plus, je ne peux pas continuer à me disputer. » Elle fut surprise et contrariée mais nous étions à la fin de l’heure et la séance se termina.

Le lendemain, il y avait un message vocal tôt le matin de la part de Mme A, disant qu’elle ne voyait pas l’utilité de venir aujourd’hui ou de poursuivre la thérapie, vu que manifestement je ne voulais pas travailler avec elle et que j’étais si frustrée par elle. Je me sentis un peu blessée et incomprise et me demandai ensuite si c’était ce qu’elle ressentait. De plus, je me sentais mal de m’être fait tellement prendre dans l’identification à sa fille, ressentant le besoin de protéger quelqu’un (moi y compris) des attaques envieuses et pleines de haine. En adoptant une posture si protectrice, j’avais été involontairement prise dans cette mise en scène et avais perdu de vue la lutte interne de Mme A. Je savais à quel point ses mauvais objets internes pouvaient être méchants, et combien leur externalisation devait être absolue. Chaque attribut qui lui manquait alimentait son humiliation et servait à accroître son envie. De plus, je réalise maintenant que j’avais sous-estimé et négligé de remarquer le degré de honte qui était le sien lorsqu’elle ressentait une agressivité aussi méchante envers sa propre fille.

Je crois qu’un certain aspect de notre mise en scène avait touché un « point sen- sible » de trop près, un point où Mme A avait besoin que ses sentiments soient reconnus, ce que j’essayais justement de la « forcer » à faire concernant les besoins de sa fille. En reconnaissant cela, je commençai à créer de l’espace interne pour

travailler sur mes réactions contre-transférentielles, et pus alors être curieuse de ce qui se passait dans son esprit. Ce travail interne me permit de l’appeler et de commencer à parler de ce qui était arrivé, en me concentrant avec empathie sur ma volonté de réparer la blessure. Je lui dis que je comprenais maintenant que je n’avais pas reconnu la honte qu’elle éprouvait à l’égard de sa haine envers sa fille. Ceci fut d’une grande signification pour elle et aida à réparer cette rupture dans notre alliance thérapeutique.

La surprise pour Mme A ne semblait pas tant être mes excuses – bien qu’elle les ait appréciées – que ma communication de combien je m’étais sentie attaquée par l’avalanche de rage et de mépris. Elle m’avait marquée, avait affecté mon calme analytique, et elle ressentait un pouvoir qui était resté insaisissable dans sa vie. C’était un pouvoir de blesser qui lui plaisait ; elle était fière de sa violence et cepen- dant, peut-être pour la première fois, était à présent consciente que j’allais continuer à la suivre. Je pouvais maintenant non seulement être un mauvais objet, mais aussi le bon objet survivant ; elle pouvait se sentir envieuse et méprisante et néanmoins continuer à sentir que j’essayais de la trouver dans nos interactions. Sa capacité à m’affecter ainsi que ma posture analytique, en quelque sorte à exercer son pouvoir pour me blesser, était ressentie comme nouvelle et importante. Denys Carpy (1989) écrit que lorsque des sentiments forts sont provoqués et suscités chez l’analyste, ce qui est précieux n’est pas seulement de les tolérer, mais aussi de montrer au patient

notre lutte pour les tolérer.


Les mises en scène dans une autre génération

Il y eut plusieurs petites mises en scène que nous continuâmes à perlaborer et qui permirent à l’inflexibilité de Mme A de se modérer. Petit à petit elle commença à faire confiance à ma capacité d’empathie et à mes efforts pour la garder dans mon esprit sans avoir à lui faire honte ou à gâcher ce qu’elle ressentait. Un changement se produisit lorsque je fus capable de relier, dans mon esprit, la transmission trans- générationnelle de mères mortes et anesthésiantes avec la transmission de l’envie. Je commençai à voir que, avec l’absence d’intérêt et d’amour maternel, la mère de Mme A avait transmis sa propre envie à l’égard de sa fille qui elle, avait une mère en vie. Ainsi, Mme A n’était pas autorisée à être une enfant à part entière avec sa propre histoire de vie et son propre esprit. Bien qu’on ait souvent raconté à Mme A l’histoire traumatique de la mort précoce de la grand-mère, c’était la perte et le vide insupportables que la mère de Mme A avait vécus et subis, qu’elle forçait Mme A à habiter, et qui s’étaient ensuite reproduits avec la fille aînée de Mme A.

Cette fille, L., s’était remariée et avait à présent une petite fille. Mme A m’avait souvent parlé, avec beaucoup de honte, de ses propres insuffisances à materner sa fille aînée L. Elle ressentait un énorme ressentiment envers cette fille qui l’avait fait se sentir si inadéquate. Sa fille semblait mieux connaître son propre bébé, mais n’en

était pas moins aussi débordée que sa mère par les exigences de cet enfant. Et ce fut là, dans ce mélange confus d’engagement maternel, d’envie et de rage désavouées, qu’un autre événement se produisit qui fit avancer ma réflexion. Mme A et son mari, ainsi que leurs familles multigénérationnelles, passaient des vacances ensemble. Sa fille L. était dans la piscine avec sa fille de 16 mois. Mme A était assise à proxi- mité. L. barbotait avec sa fille quand soudain, sans prévenir et sans dire un mot, elle immergea complètement sa fille sous l’eau. Lorsqu’elle la remonta pour la laisser respirer, l’enfant émergea en hurlant, pleurant de manière hystérique et refusant de rester avec sa mère.

Pendant que Mme A racontait l’histoire, je pouvais sentir ma propre panique et mon inquiétude. Je me dis, « Oh mon Dieu, voulait-elle vraiment essayer de noyer sa propre fille ? » Il était difficile de rester assise dans mon fauteuil et d’écouter quelque chose qui semblait proche de l’infanticide. Mais cela me poussa aussi à m’interroger plus profondément sur ce qui résonnait à travers toutes ces générations de mères et de filles. Je commençai à comprendre de manière plus complète les transmissions toxiques qui s’étaient produites autour de la mort, autour des mères anesthésiantes, autour des enfants, autour de l’envie et de l’avidité, et la tentative de préserver les ressources internes et d’éviter de s’épuiser. Cette fois, je pus éviter de me laisser entraîner par mon propre sentiment d’horreur et rester avec Mme A pour explorer les sentiments qu’elle avait éprouvés en tant que témoin.

Mme A ne pouvait pas ignorer cet événement et avait été assez bouleversée par la peur et les pleurs de sa petite-fille. Elle avait pu s’identifier à cette fille effrayée. Notre travail, je crois, lui permit de rester connectée à l’impuissance de l’enfant et de ne pas la rejeter. Elle ne fut pas poussée à reprocher à l’enfant d’être faible ou démunie, ce qui était souvent sa manière de se défendre. Ce fut une nouvelle période dans notre travail ; je pouvais voir à quel point je m’étais fait prendre et avais été utilisée, et qu’il y avait une présence empathique à l’intérieur de Mme A.

Elle avait été capable, par elle-même, d’imaginer une activité réparatrice pour sa petite-fille. C’était sa solution créative et imaginative à une toxicité meurtrière. Quelques jours plus tard, elle prit une des poupées avec lesquelles sa petite-fille jouait et s’approcha de la piscine en tenant la main de sa petite-fille. De manière répétitive elle montra et expliqua, « Tu joues dans l'eau mais tu ne vas pas sous l’eau, Dolly joue et Dolly va sous l’eau », et elle mit la poupée sous l’eau. Elle répéta ensuite, « On ne te met pas sous l’eau, on met seulement Dolly sous l’eau. » Le père de l’enfant se joignit à elles et emmena sa fille dans la partie peu profonde de la piscine pendant que Mme A continuait son activité réparatrice.

J’étais frappée par une capacité intuitive chez Mme A que je n’avais jamais vue auparavant ; elle comprenait qu’un traumatisme s’était produit et qu’il fallait le jouer avec la poupée, afin de métaboliser ce qui était arrivé à sa petite-fille. Dans cette activité, il y avait à la fois le besoin que quelqu’un soit mis sous l’eau, soit tué, et que ce ne soit pas l’enfant. Une dimension élargie pouvait maintenant être vue chez ma patiente. Je crois que c’était une conséquence de notre travail sur les

nombreuses mises en scène qui s’étaient produites comme des répétitions au sein de la dyade analytique, qui avaient été répétées et élaborées de manière créative dans l’espace intersubjectif (Reis 2019). Je ne peux pas dire que Mme A pouvait désormais se confronter à l’horreur profonde des transmissions de traumatismes dans sa famille – que quelque chose de meurtrier avait été intégré dans les transmis- sions de maternage absent. Peut-être que ce qu’elle pouvait savoir à ce stade était qu’un enfant devait être secouru et qu’il fallait lui donner les moyens de maîtriser un événement traumatique. C’est ce que Mme A offrit à sa petite-fille, une forme de jeu où le drame pouvait être mis en scène avec une poupée et non vécu comme une

annihilation de l’enfant.


En résumé

Nous nous trompons parfois en croyant que la transmission transgénérationnelle est une transmission claire dans son contenu. Je crois que nous devons également considérer les situations dans lesquelles l’expérience d’attachement d’un enfant est formée par la perte, la dysrégulation et l’instabilité. Le développement et les rela- tions d’objet de l’enfant sont en conséquence marqués et altérés. J’ai essayé de montrer à travers ce cas clinique de quelle manière chaque mère dans cette famille a reproduit et a incorporé dans sa relation d’attachement une expérience de trans- mission transgénérationnelle du traumatisme originel: la perte non déplorée d'une mère décédée.

J’ai longtemps pensé à la théorie de l’attachement comme à un corollaire de la théorie des relations d’objet. Holmes (2001) et d’autres ont écrit de manière per- suasive sur le besoin d’intégrer les travaux de Bowlby et de ceux qui ont suivi sa pensée, y compris les résultats de la recherche en attachement. C’est lorsque j’ai travaillé au sein de cet espace théorique intégré que j’ai trouvé le plus d’attrait dans le travail analytique. Garder à l’esprit le traumatisme d’attachement, la perte précoce et les théories transgénérationnelles sur la façon dont les interactions affec- tives mère-enfant sont reproduites à travers les générations, puis rester attentive aux manières dont ceci entre dans les dynamiques transféro-contre-transférentielles du traitement, permet la plus grande croissance et le plus grand changement. En tant que psychanalystes, notre unique tâche est de rester avec nos patients dans un état liminal mélangé d’amnésie et de souvenirs, en tant qu’auditeurs et témoins aussi attentifs que possible. Nous ne devons pas oublier que nous avons tous besoin d’espace pour écouter les échos des générations.

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